L’Express

« Elargissement », « Europe fédérale » : ces gros mots que l’on n’ose pas prononcer

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a proposé jeudi d'imposer des droits de douane sur les céréales venant de Russie, lors d'une conférence de presse le 21 mars 2024 à la suite d'un sommet de l'UE à Bruxelles




C’est une bataille géopolitique existentielle qui se joue parallèlement à la guerre en Ukraine, et en partie à cause de la guerre en Ukraine. L’Union européenne doit impérativement s’élargir, afin notamment d’endiguer les ambitions impérialistes et hégémoniques de la Russie de Poutine. En décembre 2023, les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement ont ainsi acté la future carte de l’UE, destinée à englober l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie et les Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie). Mais comment ? Et à quel prix ?Alors que ces pays sont pour certains des terrains de guerre (Ukraine) ou déchirés par des revendications territoriales (Serbie, Kosovo, Bosnie, Moldavie, Géorgie), comment repousser ses frontières sans exciter les mouvements nationalistes, comment s’agrandir de 27 à 36 Etats (rien que ça !) sans se diluer dans une masse informe qui aurait sur ses adversaires, comme la Russie de Poutine, la Chine de Xi Jinping ou l’Amérique de Donald Trump, l’effet inverse de la force politique escomptée ?Qu’élargissons-nous, en fait ?Aucune stratégie, aucune feuille de route, aucune consultation n’accompagne cette transformation pourtant fondamentale qui a été décidée. Sylvie Goulard, ancienne députée européenne centriste qui n’ignore rien des qualités et des défauts de la grande machinerie bruxelloise, craint à juste titre que les Européens traitent le sujet par-dessus la jambe. Dans un petit livre dont le titre semble tiré d’un conte très moyennement optimiste, L’Europe enfla si bien qu’elle creva (éd. Tallandier), elle pose la bonne question : « Qu’élargissons-nous ? » Une Europe politique qui « reconnaît des droits aux citoyens, défend des valeurs, organise la solidarité par-delà les frontières et qui a vocation a être dotée de moyens diplomatiques et militaires propres comme elle s’est dotée d’une monnaie » ? Ou une Europe commerciale centrée sur le marché, utile aux entreprises mais « aux ambitions limitées » ?A moins qu’il ne s’agisse que de persister dans cette « Europe mirage » qui ressemble en partie à celle d’aujourd’hui, « faite d’égoïsmes nationaux, dépourvue de budget propre, entravée par le veto et la pusillanimité » ? Une Europe sans politique étrangère et dont la défense reste « un empilement désordonné de moyens nationaux » ?IndignationCes dernières semaines donnent raison à cette indécision hélas structurante. Face à la guerre de Poutine, les dirigeants européens sont unis et mobilisés comme ils ne l’ont jamais été. Dans sa volonté collective, l’Europe de la défense a fait un pas de géant. Mais l’intendance ne suit pas. Où en est « l’économie de guerre » tant de fois martelée, notamment par Emmanuel Macron ? Jeudi 11 avril, des missiles balistiques russes ont anéanti la plus grande centrale thermique au sud de Kiev, au cours d’une série d’attaques soutenues sur des immeubles et des infrastructures civiles.Les Ukrainiens demandent au moins sept batteries antimissiles Patriot pour défendre leurs villes bombardées. Six pays en possèdent en Europe (Allemagne, Suède, Pays-Bas, Grèce, Roumanie, Espagne), et seule l’Allemagne a réagi vite. Au Parlement européen, l’eurodéputé libéral belge Guy Verhofstadt s’est indigné à juste titre des belles paroles de solidarité des Européens, incapables de passer à l’acte dans l’urgence. Le Parlement a refusé de voter la décharge du budget du Conseil européen (de le valider), tant que celui-ci n’aura pas organisé l’envoi des Patriot nécessaires.L’heure des choixL’Europe doit choisir. Ses Etats membres veulent-ils constituer une grande puissance de manière à s’imposer face aux « grands prédateurs qui parsèment le monde » ou « rester un machin enlisé par les élargissements successifs » ? L’UE est dominée par un Conseil européen « bigarré », composé de chefs d’Etat ou de gouvernement élus nationalement, qui reste, contrairement aux clichés véhiculés par les populistes, beaucoup plus national qu’il n’est européen.Dans une tribune avec l’ancien député Dany Cohn-Bendit (Le Monde du 11 avril), Sylvie Goulard poursuit sa réflexion. Ils prononcent le gros mot : « L’Europe fédérale ». On entend déjà les détracteurs : « Horreur ! La fin des nations ! » C’est le contraire : si les nations ne se renforcent pas ensemble, elles disparaîtront ensemble. Arrêtons de tourner autour du pot.Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du « Piège Nord Stream » (Arènes)



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Author : Marion Van Renterghem

Publish date : 2024-04-18 06:45:00

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