Donald Trump, saison 2 : comment il prépare son retour à la Maison-Blanche

C’est l’élection dont personne ne voulait. Le remake de 2020. Le retour de Trump. L’affrontement d’un président octogénaire (81 ans depuis le 20 novembre) avec son prédécesseur septuagénaire (78 ans en juin prochain). En général, les Américains sont friands de come-back, un archétype hollywoodien, comme Rocky II. Mais cette fois, les boxeurs remontent sur le ring épuisés. Et épuisants. “Personne ne veut revivre l’élection d’il y a trois ans ; elle a été la pire de notre histoire”, dit Luke Mogelson, journaliste au New Yorker et auteur de L’Amérique en colère (Tallandier), le récit d’un pays divisé.

“La politique dégoûte tout le monde, ajoute-t-il. Les démocrates se désolent de la fragilité du ‘papy’ Biden et une bonne partie des républicains en a assez du cirque Trump.” En vérité, ces deux-là se tiennent par la barbichette : Trump est le seul adversaire que Biden pourrait battre, et vice-versa. Tout autre candidat, plus jeune, serait quasi certain de l’emporter ou, du moins, d’insuffler une dynamique positive à l’Amérique. Mais, tels des vieux acteurs, ils s’accrochent, chacun persuadé de supplanter l’autre.

A ce petit jeu, c’est Donald Trump qui, depuis le “tremblement de terre” du 5 novembre, tient la corde. Ce jour-là, un sondage New York Times/Siena College auprès des électeurs inscrits des six swing states américains – les fameux Etats pivots qui font basculer l’élection dans un camp ou dans l’autre – révèle que le républicain possède 4 à 10 points d’avance dans cinq d’entre eux : Arizona, Géorgie, Michigan, Nevada et Pennsylvanie. Sans doute une conséquence directe du conflit israélo-palestinien : le soutien affiché du président Biden à Israël déplaît à la gauche du Parti démocrate, qui s’abstiendrait plutôt que voter pour lui. Autre signal d’alerte : 22 % des Afro-Américains prévoient de voter Trump ! Une progression effarante : en 2020, 8 % des Noirs avaient voté pour lui et en 2016, 6 %. La preuve, aussi, que “l’atout” Kamala Harris, vice-présidente censée attirer le “vote black”, ne fonctionne pas.

“Le vieux Biden n’imprime pas”

“Le recul de Biden est d’autant plus surprenant que les ‘Bidenomics’, c’est-à-dire ses résultats macroéconomiques liés à différentes lois de relance keynésienne (sur les infrastructures, la transition écologique, la recherche, etc.) sont plutôt bons”, estime Laurence Nardon, de l’Institut français des relations internationales. “De plus, ses positions fortes sur le soutien à l’Ukraine et à Israël font mentir l’idée que, depuis Jimmy Carter, président de 1976 à 1980, les démocrates seraient ‘weak on defense’, c’est-à-dire faibles sur les questions de défense et de politique internationale. Mais, malgré cette fermeté, le vieux Biden ‘n’imprime pas’.”

Débat entre les candidats républicains, de g. à d.: Chris Christie, Nikki Haley, Ron DeSantis et Vivek Ramaswamy.

Même les ennuis judiciaires de Trump n’arrêtent pas son ascension. “C’est contre-intuitif, mais les trois procès qui démarrent au printemps favoriseront Trump, reprend cette chercheuse. Pendant la campagne, il va se poser en victime des élites, de l’état profond et de l’administration Biden.” Et, le calendrier judiciaire aidant, aucune condamnation n’interviendra avant le scrutin. Voilà quelques semaines, la présidentielle semblait ingagnable pour Trump. Maintenant, tout indique que Biden pourrait la perdre. Avec, à la clé, des conséquences incalculables pour le monde entier.

“Ce serait un cauchemar”, lâche sans ambages le député allemand Norbert Röttgen de l’Union chrétienne-démocrate (CDU, droite), qui s’attend à ce que Trump cesse de soutenir l’Ukraine. “A coup sûr, il présentera ce conflit comme une affaire entre Européens et les laissera se débrouiller entre eux, prédit ce conservateur qui siège à la commission des Affaires étrangères du Bundestag. Il nous mettra au pied du mur et nous proposera d’acheter des armes américaines pour soutenir l’Ukraine.”

Ce scénario n’a rien d’impossible. “Trump pourrait utiliser son pouvoir exécutif pour ralentir ou même arrêter le soutien à l’Ukraine approuvé par le Congrès, renchérit Alexandra de Hoop Scheffer, du German Marshall Fund. Il surfe déjà sur la fatigue de la guerre au sein de la classe politique et de l’opinion américaine : lors de ses meetings, il travaille les esprits en ce sens avec son slogan anti-Biden : ‘Ukraine first, America last’.” La spécialiste des relations Europe-Etats-Unis anticipe même un rapprochement avec Poutine. “Dès les premiers jours de sa présidence, Trump pourrait convoquer une rencontre bilatérale avec le dirigeant russe pour conclure un accord de cessez-le-feu visant à geler le conflit sans consulter les Européens et ses partenaires de l’Otan.”

Le retour de Trump aux affaires impacterait aussi le Moyen-Orient avec, d’une part, une position plus dure que celle de Biden vis-à-vis de l’Iran, le Hamas et le Hezbollah et, d’autre part, un “soutien total à Israël”, ainsi que le candidat l’a déjà annoncé. Une position liée au vote des évangéliques : favorables à Israël, ils représentent 20 % des votants. En Asie, il pourrait déclencher une guerre économique contre la Chine en exigeant que l’Allemagne et les autres pays européens s’alignent sur Washington et cessent de commercer avec Pékin, sans quoi ils subiraient des sanctions américaines. “En somme, ce serait une période de disruption comme l’Occident n’en a jamais connu ; pas même durant le premier mandat de Trump”, conclut Norbert Röttgen.

Trump choisira partout des personnalités “loyales”

Avec une équipe renouvelée, plus à droite et mieux organisée que la précédente, Trump renversera la table. “Pour commencer, il a annoncé qu’il nommerait un procureur chargé d’enquêter sur son prédécesseur afin de le salir”, décrit la juriste et américaniste Anne Deysine, également auteure de Les Etats-Unis et la démocratie (L’Harmattan). Après ces hors-d’œuvre, Trump placerait sous son contrôle direct les agences publiques, aujourd’hui indépendantes, comme la Food & Drug Administration (qui délivre les autorisations pour les médicaments) ou le Consumer Financial Protection Bureau (qui protège les clients du secteur financier).” Trump entend aussi supprimer la sécurité de l’emploi pour des dizaines de milliers de fonctionnaires qui, selon lui, travaillent pour “l’Etat profond” plutôt que servir le locataire de la Maison-Blanche.

Trump choisirait partout des personnalités qu’il considère comme loyales. “Pendant son premier mandat, il avait renvoyé le directeur du FBI, James Comey, après lui avoir demandé son allégeance en pleine enquête sur l’ingérence russe dans les élections de 2016, rappelle Alexandra de Hoop Scheffer, qui est en lien quotidien avec l’administration Biden. Sa première décision serait donc de remplacer le directeur du FBI et le ministre de la Justice. Avec des loyalistes en poste, toute enquête fédérale en cours le concernant pourrait être abandonnée.”

La juriste Anne Deysine détaille : “Avec les trois juges de la Cour suprême et les 250 juges de première instance et de cour d’appel nommés par ses soins pendant son premier mandat, le pouvoir judiciaire ne serait plus un contre-pouvoir conformément à l’esprit de la Constitution, mais un agent du pouvoir.” Enfin, en matière d’immigration, Trump entend serrer la vis à fond, encore plus qu’au début de son premier mandat : il renouerait notamment avec les interdictions d’entrer sur le territoire pour les ressortissants de plusieurs pays musulmans.

S’il revient à la Maison-Blanche en janvier 2025, l’ancien magnat de l’immobilier new-yorkais sera seulement le deuxième président à obtenir deux mandats non consécutifs. Le premier fut le démocrate sans relief Grover Cleveland (1884-1888, puis 1892-1896), qui n’a guère marqué les esprits. Trump, lui, c’est sûr, laissera son empreinte, estime l’historien des Etats-Unis Yves-Marie Péréon, auteur de Rendre le pouvoir (Tallandier). “Pour prendre la mesure de la transgression qu’il incarne, il suffit de savoir qu’en deux cent cinquante ans, aucun président n’a jamais contesté le résultat d’une présidentielle. Aucun n’a fomenté une insurrection. Et aucun ex-président n’a snobé l’investiture de son successeur.” Trump, lui, a fait tout ça.




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